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24 mars 2008

Mail d'Etienne (Ulm) en réaction au débat sur les sans-papiers

« Le courage, c’est d’aller vers l’idéal et de comprendre le réel » Jaurès

Ce n’est pas par sarkozisme que je cite Jaurès, mais parce que cette phrase me semble très juste, et parce que je ne sais pas si bien dire. J’ai toujours eu en effet le sentiment qu’aspirer à un idéal, quel qu’il soit, n’était légitime que dans le cadre d’une compréhension rigoureuse de la réalité, le sentiment qu’on ne peut juger le monde que si on le comprend d’abord, que « ce qui devrait être » n’est souhaitable que s’il peut être. Je vais donc essayer de montrer quelles sont les différentes attitudes existantes face à l’immigration, leurs conséquences, et dans quelle tradition s’inscrit la « rupture » sarkoziste (qui n’est pas une rupture, nous l’avons compris depuis quelques temps) ; mais seulement d’un point de vue français, pour des raisons évidentes de temps et d’ignorance, laissant à d’autres, peut-être, le soin de traiter la question sur le plan international, d’examiner les conséquences de l’émigration dans les pays d’origine ?

Les deux extrémités entre lesquelles les politiques d’immigration se situent habituellement sont  l’assimilation ou l’insertion. Par une politique d’assimilation, on recherche la pleine adhésion des immigrés aux normes de la société d’accueil, tolérant seulement l’expression d’une éventuelle identité propre dans un cadre privé. Une politique d’insertion au contraire laissera plus de liberté au migrant, lui permettant de garder ses coutumes, d’avoir une école adaptée, de parler sa langue. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont clairement une politique plus proche de la politique dite d’insertion, qui permet d’accueillir des immigrés en plus grand nombre1, mais pose d’autres problèmes. La France, elle, aurait une ambition plus proche de l’assimilation.

Tu as souligné à juste titre que la France n’était pas les États-Unis, que les Français ne veulent pas du « communautarisme »2, de la « ghettoïsation », des violences interethniques. L’on ne veut pas laisser les individus livrés à eux-mêmes. L’idée d’une certaine égalité (et pas seulement des chances) entre ses membres y est très forte, et la liberté n’y est perçue comme légitime que si elle lui est soumise. Le respect de la laïcité, de la démocratie, des droits de l’homme : tout cela, les Français y sont attachés. J‘ose le gros mot, contre lequel moi aussi je trébuche souvent : c’est précisément ce qu’on appelle l’ « identité nationale ».

On l’a vu, ce n’est pas une identité en pur creux. On ne peut pas dire : « le propre de l’identité française, c’est l’absence d’identité, c‘est être ouverte à toutes les autres», car la première identité qui diffère de celle-ci a toutes les chances de la nier et, ce faisant, de la supprimer. Par exemple, à propos de la loi sur le port du voile à l’école, qui est assez contraignante, que tous ne comprennent pas : faut-il la changer pour intégrer les immigrants et respecter leurs coutumes, ou faut-il que les immigrants changent eux-mêmes de coutume pour s’intégrer à la France ? Dans les deux cas, il y a remise en cause d’une identité. Personnellement, j’ai tendance à penser que la deuxième est la « moins pire », que la culture française, participant en cela à l’européenne, est la seule à s’être intéressée aux autres par le passé, que si l’on veut être ouvert aux autres et leur apporter quelque chose, il ne faut pas s’oublier soi-même, mais garder au moins ceci comme valeur : l’ouverture aux autres. L’identité française est donc exigeante.

Cela ne mène pas à penser que les expulsions sont nécessaires. Personne n’est incompatible essentiellement à une autre identité. Le propre de l’être humain, c’est de savoir s’adapter aux circonstances particulières où il vit, d’en tirer le meilleur possible, de savoir céder ce qui est superficiel pour conserver le plus important. Ceux qui ne connaissent pas ces valeurs peuvent les apprendre et il est de notre devoir de leur enseigner ; mais ceux qui ne veulent pas les apprendre, qui ne veulent pas respecter la loi, il faut leur dire, avec fermeté, qu’ils n’ont rien à faire chez nous, et que nous n’avons pas à soumettre l’identité nationale à l’immigration, ni le respect de la loi à ces conditions. Se voir récompensé de dix ans de fraude par une naturalisation doit donner un bien curieux rapport à la loi et au devoir de la respecter3.

L’on invoque souvent, pour contredire cette fermeté, le devoir moral de l’hospitalité. C’est un devoir moral certes, mais qui s’adresse à la personne, pas à la société. L’on se doit d’accueillir l’étranger qui frappe à notre porte. Mais si l’on veut que la société intègre convenablement les immigrés, garantisse leurs droits (du type CMU, contrat de travail dans les règles etc.), leur fournisse du travail, l’on se doit aussi de dire que tous ne pourront pas être acceptés. Comme tous les ascenseurs, quand il est en surcharge, nul ne peut garantir l’arrivée à bon port de l’ascenseur social.

Certes, la métaphore est trop malthusienne (penser qu’il y  un nombre de richesses limitées pour une population globale en variation, ce qui est faux4) pour être entièrement pertinente. Dans une société authentiquement libérale, chaque personne est une richesse de plus et non pas un coût pour la société. Mais dans une société où l’Etat veut tout contrôler5, où l’on veut tout « régulariser », tout mettre sous le coup d’une règle6 en ôtant à la vie ce qu’elle a d’inconnu, où l’on veut tout « sécuriser » et fermer rapidement derrière soi la porte de son statut ventripotent, elle n’est peut-être pas entièrement dénuée de fondement : il est inévitable que les nouveaux membres aient des difficultés à s’intégrer.

Etrange que les deux catégories qui ont le plus de difficultés en France, les jeunes et les immigrés, aient justement ce point en commun : être des nouveaux arrivants dans un système cloisonné. Etrange que l’Etat providence conduise à une forme d’aigreur et d’égoïsme. Etrange enfin qu’en ayant les meilleures intentions du monde, ceux qui veulent « régulariser sans délai et sans condition les sans-papiers » soient les mêmes précisément qui empêchent, de fait, l’intégration des nouveaux arrivants.

Voilà donc le choix qui se propose à nous : s’inscrire dans la tradition française ou la faire évoluer dans un sens qui laisse plus d’espoir dans l’avenir, plus d’ouverture à l’inconnu, plus de liberté aux hommes, qui les laisse s’épanouir comme ils l’entendent, qui fait enfin confiance aux initiatives personnelles. Aucun pays n’est condamné à sa situation,  le propre de la démocratie c’est de savoir se corriger. Mais aucun changement ne se fera sur cette question si on ne règle pas le problème sur le fond et si la population ne cesse d’avoir ce culte pour l’Etat, les règles, les subventions, les impôts élevés, les monopoles du service public qui empêchent le libre choix, etc.

L’Etienne réel, au fond de lui, est un peu triste de devoir écrire cela ; la réalité, c’est toujours un peu triste. C’est décevant ; il n’y a pas ici de racisme, de stigmatisation des étrangers ; on ne peut identifier un camp au camp du mal, qu’il suffirait de supprimer pour supprimer le mal ; il n’y a que des calculs froids de possibles, et des faits, qui résistent aux fantasmes. Ca manque de poésie.

Pour y remédier donc, pour sortir du débat militant et retrouver le ton sain de la conversation au coin du feu sous l’égide des grands hommes du passé, je tourne le dos à M. Sarkozy et à Jaurès et vous propose une traduction rapide et personnelle de la fin d’un poème de Schiller, écrit en 1801, Der Antritt des neuen Jahrhunderts :

« C’est en vain que tu cherches, sur toutes les cartes du monde, la région paisible où le jardin de la liberté est toujours vert, où la superbe jeunesse de l’humanité est en fleur. […] Il n’y a de liberté [absolue] que dans la chambre des rêves, la beauté ne s’épanouit que dans les chansons. »

******

1 : Les Etats-Unis ont accueilli huit millions d’immigrants de 2001 à 2005 (27,59 immigrés pour 1000 Américains) la France 500 000 (7,81). 66%  de l’accroissement de la population britannique est due à l’immigration, contre 36% de la population française. On pourrait multiplier les exemples.

2 : Cela est discutable sur le fond, mais ce qui nous importe ici, comme dans la suite, ce sont les représentations.

3 : L’agitation législative de notre ex-ministre de l’intérieur adoré a traduit une volonté de changer ce système qui récompensait la fraude, qui légitimait l’immigration clandestine puisqu’elle était la seule possible, pour essayer de favoriser une immigration dans un cadre légal (ce qu’il appelle l’ « immigration choisie », qui n’a rien à voir avec l’immigration libre). Si la volonté est claire, la réalité effectivement se fait un peu attendre.

Les expulsions ont commencé en 1986, lorsque C. Pasqua était ministre de l’intérieur. Ce n’est donc pas Sarkozy qui les a inventées. Il a seulement levé un voile et dit clairement ce qui se faisait. La nouveauté qu’il a introduite cependant est la très douteuse notion de « quota », qui contredit clairement sa volonté de traiter la question au cas par cas, et s’inscrit dans cette détestable « culture » du résultat et du chiffre.

4 : Je peux développer ce point au besoin, mais cela nous entraînerait trop loin ici.

5 : Cela s’est passé en URSS, les soviétiques ont aboli l’argent et le marché, supprimé la liberté de circulation des biens, et bizarrement, celle des personnes. Je dis « bizarrement », parce que les pays qui prônent la libre circulation des biens (suivez mon regard : les Etats-Unis), prônent aussi celle des personnes ! Coïncidence bizarre n’est-ce pas ?

Rappelons aussi au passage ce fait : la France n’est pas un pays libéral économiquement. Plus d’un quart de sa population active travaille pour l’Etat, directement ou indirectement, la moitié environ du PIB français passe par l’Etat. L’influence de l’Etat sur la société est donc considérable, il a par exemple bien trop d’emprise sur les médias.

6 : En prévision d’une objection qu’un petit malin pourrait faire, la règle et la loi ne sont pas la même chose. La loi fait fonctionner, la règle veut dicter.

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